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Patrimoines familiaux: les clés pour pérenniser

En mars 2022, Hortis Île-de-France organisait une rencontre autour de plusieurs familles de pépiniéristes de la région. Une journée riche en échanges pour évoquer la passion qui anime ces professionnels, mais aussi les écueils à surmonter pour faire perdurer ces dynasties.

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Le 25 mars dernier, les pépinières Al­lavoine, à Bièvres (91), ont reçu un groupe­ d’adhérents de la délégation francilienne d’Hortis – les respon­sables d’espaces nature en ville – à l’occasion d’une journée sur le thème « Les dy­nasties de pé­piniéristes, des familles au service de la production horticole - des parcours entre histoire et tradition ».

Au programme, les témoignages des pépinières Allavoine, Chatelain, Croux et Pescheux-Thiney (lire en Repères). Impossible de relater en détail l’histoire passionnante de ces familles ! Mais une analyse des échanges fait ressortir de nombreux points communs, ceux qui ont favorisé la pérennisation de ces entreprises et les difficultés rencontrées.

1.La passion du végétal pour credo

Pour tous les professionnels présents, la production végétale n’est pas juste un métier, c’est une passion, une raison d’être. Elle se transmet de génération en génération, même si, pour certains, le premier choix professionnel n’était pas de s’engager dans la lignée des parents.

C’est le cas par exemple d’Olivier Garcin, actuel gérant des pépinières Allavoine et quatrième génération de la famille. « Au début, je n’envisageais pas de reprendre l’activité et je me suis orienté vers des études de commerce, tout en donnant de mon temps les week-ends. Mais au décès de mon père, en 2012, j’ai réalisé qu’au-delà de la “charge” imposée par une reprise il s’agissait également d’une formidable chance de perpétuer l’histoire familiale. »

À 35 ans et après avoir exercé dans un tout autre domaine, l’aîné des six enfants d’Emmanuel Croux – dixième génération d’une des plus anciennes familles de pépiniéristes du territoire – reprend le flambeau. Là encore il est guidé par la passion et le désir de perpétuer l’histoire fami­liale. Il conservera partiellement son ancienne activité, une démarche qui impliquera une réorganisation du fonctionnement de l’entreprise.

Tous considèrent la passion du végétal comme une valeur fondamentale qui permet d’accepter les contraintes du métier de producteur et de rebondir en cas de coup dur (décès prématurés durant les guerres, événements climatiques exceptionnels comme le gel de 1985 ou la tempête de 1999, expropriation…).

2. Remise en question et anticipation pour évoluer

Le témoignage d’Emmanuel Croux synthétise les clefs pour réussir la transmission et le dévelop­pement au fil des générations : « La pépinière est un commerce qui, pour perdurer, exige de la rigueur et un suivi de chaque instant. Il faut une remise en question et une évolution permanentes, savoir aussi anticiper les changements. C’est ce qui nous a permis de traverser les siècles, les évolutions de la société, les épreuves marquantes ou climatiques. »

3. Curiosité et innovationsvariétales

La curiosité et l’innovation variétale sont aussi des atouts pour durer. Dès le milieu du xixe siècle, Croux participe à des expositions en Europe ou en Amérique du Nord et développe des créations de renommée internationale, à l’image de l’hibiscus ‘Oiseau Bleu’.

4. Se diversifier pour durer

La diversification de la palette végétale, mais aussi des marchés, donne la possibilité de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Ainsi chez Allavoine, Jacques (deuxième génération) a repris les rênes de l’entreprise très jeune, à la suite du décès prématuré de son père en 1953. Il a alors 26 ans, sa femme, 23. C’est le plein essor de la reconstruction d’après-guerre. L’entreprise développe la production de végétaux d’ornement et crée une activité de paysage qui font croître la masse salariale jusqu’à 140 personnes dans les années 80-90.

Au début des années 2000, l’entreprise se voit expropriée pour l’aménagement d’un tronçon de l’A86. La question d’arrêter l’activité se pose, car l’indemnisation ne couvre pas les frais inhérents au réinvestissement nécessaire pour reprendre. C’est le rachat de 10 ha à Bièvres, complétant les terres conservées à Gaillon (27) et aux Loges-en-Josas (78), qui lui permet de repartir sur de nouvelles bases et de créer le groupe Allavoine avec un volet production (pépinières Allavoine), un volet aménagement paysager (Allavoine parcs et jardins) et une entreprise de services (Allavoine service jardins).

Afin de diversifier la clientèle, Perrine Pescheux et son mari Stéphane Thiney ont développé, à partir du début des années 2000, la vente aux particuliers, en complément de l’activité historique du gros et demi-gros à Rungis. Elle représente aujourd’hui près de la moitié du chiffre d’affaires. « Avant on produisait et on vendait, maintenant on réfléchit selon la clientèle potentielle. »

Depuis 2008, ils ont repris les rênes de l’entre­prise familiale créée par le père de Perrine en 1969, issu d’une famille de grainetiers installés à Chilly-Mazarin (91). Une grande fierté pour elle, car les femmes dirigeantes ne sont pas si nombreuses dans le milieu de la pépinière…

La famille Chatelain est installée en tant qu’agriculteurs depuis 250 ans dans le Val-d’Oise, près de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.

L’activité pépinière (2,5 ha de pleine terre) ne se développe qu’à partir de 1967 sous l’impulsion du père de Laurent, Jean-Marie Chatelain, accompagné par son épouse Christiane, qui s’occupait du point de vente.

5. Confiance et polyvalence

Point clé de la pérennisation : nouer une relation de confiance, tant avec la clientèle – gage de fidélité, y compris dans les périodes difficiles – qu’avec l’équipe de salariés, un terme qu’Olivier Garcin préfère remplacer par coéquipiers.

Ces valeurs impliquent un haut niveau de qualité des produits proposés, mais aussi un partage de l’expérience et des savoirs avec l’équipe, favorisant un faible turnover. Elle nécessite aussi de pouvoir s’entourer de personnels qualifiés et motivés, ce qui semble de plus en plus compliqué pour les recrutements,ces dernières années.

Ces témoignages ont montré qu’il était possible de traverser les siècles grâce à la passion, l’amour du travail artisanal de qualité, sans négliger les progrès technologiques qui améliorent la performance et la relation client, mais aussi grâce à un engagement collectif au service de la profession. Et la crise sanitaire de ces deux dernières années­ n’a pas été ressentie que d’une façon négative : elle a permis de redonner de la lisibilité aux producteurs locaux et de rappeler les béné­fices pour un acheteur de faire appel à ce type de professionnels.

Yaël Haddad

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